IX
UN NOUVEL ADVERSAIRE

Bolitho s’assit devant la table en marqueterie dans la chambre exiguë du Navarra et contempla la carte d’un œil assez morose. Il avait dormi trois heures, inconscient de ce qui se passait, jusqu’à ce que son instinct le sortît de sa couchette, l’œil et l’oreille aux aguets.

Au cours de ces trois heures le vent était totalement tombé, et rien ne laissait deviner ce qu’avait été sa fureur. Lorsqu’il était monté en hâte sur le pont, il avait vu les voiles qui pendaient sans vie, la mer qui ondulait doucement dans un calme plat.

Tandis que Meheux s’occupait d’immerger les morts et que Grindle essayait de compter puis de nourrir les passagers ainsi que l’équipage espagnol, il avait entrepris de fouiller méthodiquement les appartements du défunt capitaine.

Levant les yeux, il fit du regard le tour de la chambre où un homme semblable à lui avait autrefois dressé des plans, s’était reposé, avait espéré. A travers le trou béant dans le bordé, il apercevait la mer bleutée qui léchait la coque comme pour se moquer de lui. La chaleur montait déjà par les fenêtres ouvertes, la bordée de l’Euryale ayant fait voler en éclats toutes les vitres et transformé la chambre en un véritable champ de ruines. Un incendie s’était sans doute déclaré, car il ne trouva en cherchant les papiers et le livre de bord du bâtiment que des cendres noirâtres. Il n’y avait rien qui pût lui fournir le moindre début d’explication, pas même un sextant pour lui permettre d’observer leur position approximative. L’ouragan de la nuit avait pu les faire dériver de plusieurs milles vers l’est, la terre – Espagne, Afrique du Nord ? – était peut-être à trente ou cinquante milles, il n’était sûr de rien.

Meheux pénétra dans la chambre, faisant craquer les morceaux de verre sous ses semelles. Il avait l’air fatigué, tendu, comme tous les hommes de son détachement.

— Je crois que nous arrivons enfin à préparer quelque chose qui pourrait ressembler à un dîner, commandant – il lui indiqua la carte. Une chance d’estimer notre position ?

— Aucune.

Il était inutile de lui laisser cette illusion. Si quoi que ce fût lui arrivait, ce serait à Meheux de conduire le navire en sûreté.

— Et être encalminés comme nous sommes ne nous mène pas à grand-chose – il regardait Meheux, l’air grave. Comment vous en sortez-vous avec les passagers ?

L’officier haussa les épaules :

— Ils passent leur temps à bavarder comme un vol de mouettes. Je ne suis pas sûr qu’ils comprennent exactement ce qui leur arrive.

Ni moi non plus, se dit Bolitho.

— Lorsque tous vos gens se seront restaurés, remettez-les au travail sur la coque. Les voies d’eau sont toujours aussi inquiétantes : assurez-vous que l’on vérifie les pompes.

Allday apparut dans l’embrasure branlante, le front soucieux.

— Pardonnez-moi, commandant, mais il y a un Espagnol qui désire vous parler. Si vous préférez, je l’enverrai aux pelotes et vous pourrez dîner en paix.

— Je suis désolé, fit Meheux en acquiesçant, j’avais oublié de vous en parler. Ce petit Espagnol tout replet, c’est celui qui a aidé Ashton à traduire ce que je disais. J’avais tant de choses à quoi penser…

Bolitho sourit :

— Je doute que ce soit si important que cela, mais allez le chercher, Allday – puis il ajouta à l’intention de Meheux : Je suis tellement à court de renseignements que je n’ai guère le choix.

L’Espagnol fit son entrée, assez agité, la tête courbée sous les barrots qui le dominaient pourtant de deux bons pieds. Il avait remis sa perruque en place, mais Bolitho songea avec surprise que le postiche, loin de le rajeunir, contribuait plutôt à accuser son âge.

Il savait déjà que l’homme répondait au nom de Luis Pareja et qu’il se rendait à Port-Mahon, où il comptait finir ses jours.

— Eh bien, senor, que puis-je pour vous ?

Pareja commença par observer le décor, les trous laissés par le passage des boulets, les morceaux de bois calcinés, avant de répondre d’une voix timide :

— Votre navire nous a causé des dégâts terribles, commandant.

— Si nous vous avions balancé une vraie bordée, murmura sèchement Meheux, vous seriez coulés au fond de l’eau avec les autres. Alors, faites attention à ce que vous dites !

Pareja parut atteint :

— Je ne voulais pas du tout sous-entendre que vous… – il vacilla un peu, mais ajouta tout de même : Ils ignorent ce qui va se passer maintenant, et si nous arriverons chez nous.

Bolitho le regarda longuement.

— Ce navire est dorénavant sous pavillon britannique. Il vous faut comprendre qu’en temps de guerre il est difficile de prévoir les événements. Mais nous avons des vivres en quantité suffisante, et j’espère que nous retrouverons bientôt notre bâtiment.

Il crut voir un éclair de doute passer dans les yeux de son interlocuteur et ajouta d’un ton ferme :

— Très bientôt, même.

— Je le leur dirai – Pareja avait en fait l’air moins sûr de rien que jamais. Si je puis vous être de quelque secours, merci de m’en faire part, commandant. Vous nous avez sauvé la vie en restant à bord, je le sais pertinemment. Sans cela, nous aurions certainement péri.

— A propos, senor Pareja…

Bolitho baissa les yeux : lui montrer trop de confiance risquait d’être pris par lui comme un doute sur sa propre assurance.

— … Savez-vous pour quelle raison votre capitaine est descendu si loin dans le sud ?

Pareja fit la moue.

— Je sais qu’ils ont eu des discussions, mais, dans la précipitation de l’appareillage, je n’y ai guère fait attention. Mon épouse devait quitter l’Espagne. Depuis notre alliance avec la France, les choses ont commencé à mal tourner chez nous. J’espérais la conduire dans ma propriété de Minorque. Ce n’est pas très grand, mais…

— Parlez-nous donc de ces discussions, le coupa Meheux.

— Du calme, monsieur Meheux – Bolitho lui jeta un regard qui avait valeur de mise en garde. Lui aussi a ses soucis, non ?

Il se retourna et demanda d’une voix neutre :

— Mais vous disiez quelque chose, senor ?

Pareja écarta ses grosses mains potelées.

— J’ai entendu l’un des officiers, il est mort, malheureusement, dire qu’ils avaient rendez-vous avec un autre bâtiment, pour transférer un passager. Quelque chose de ce genre.

A ces mots, Bolitho essaya de dissimuler son soudain intérêt.

— Vous parlez fort bien anglais, cela peut nous être très utile.

Pareja sourit en prenant l’air modeste :

— Ma femme le parle fort bien. Et j’ai fait des affaires à Londres – il hésita. Les temps étaient plus faciles.

Bolitho se contraignit à s’asseoir, parfaitement conscient de l’impatience de Meheux et des mouvements paresseux du bâtiment sous ses pieds.

— Vous souvenez-vous, lui demanda-t-il doucement, à quel endroit devait avoir lieu ce rendez-vous ?

— Je ne pense pas.

Et il s’essuya le visage, ce qui le fit ressembler à un gros poupon qui aurait joué à « qui c’est ça ? » derrière une vieille perruque.

Bolitho poussa lentement la carte dans sa direction.

— Regardez ceci. Les noms qui sont indiqués sur la côte.

Ce faisant, il fixait intensément Pareja qui explorait la carte déchirée, le regard vide.

— Non.

Meheux s’éloigna et fit en se mordant la lèvre :

— Qu’il aille au diable !

Quant à Bolitho, il se détourna pour cacher sa déception.

— S’il vous revenait quoi que ce soit, senor Pareja, soyez assez aimable pour en faire part à l’un de mes hommes.

Pareja, avec une courbette assez cérémonieuse, fit mine de se retirer. Il s’arrêta pourtant, leva la main comme pour réclamer le silence.

— Mais l’officier a dit aussi autre chose, fit-il, tout excité – nouveau léger froncement de sourcils. Il disait qu’il… trouvait étrange que l’on recommence à faire des affaires avec les Français.

Il se tourna vers Bolitho, dont le visage s’éclairait, avant de conclure :

— Mais c’est tout ce que je sais, je suis désolé.

— Monsieur Meheux, y a-t-il des Français à bord ? demanda Bolitho en retenant son souffle.

— Mais oui, répondit vivement Pareja avant même que Meheux eût eu le temps d’ouvrir la bouche, mais oui, il y en a un. Il s’appelle Witrand et il est arrivé si tard à Mâlaga qu’il n’y avait plus de cabine pour lui.

Il avait l’air étonné lui-même de ce qu’il disait.

— On l’a autorisé à partager les appartements du capitaine. Voilà qui est bizarre.

Bolitho se leva lentement, balançant entre méfiance et espoir. Pourtant oui, c’était fort possible, quelqu’un d’assez important pour partager les appartements du capitaine était peut-être bien capable de monter un transfert pas très chrétien en mer. Cela ne signifiait guère plus que quelques jours de route de mieux pour les autres passagers. Le pouvoir est comme la richesse, il sait trouver les arguments qui font la différence. Cet homme, ce Witrand, était peut-être un contrebandier, un criminel de haut bord en fuite, un traître ou un marchand qui essayait d’échapper à ses concurrents. Cela dit, il savait peut-être des choses intéressantes, des choses qui pourraient jeter une autre lumière sur ce qui se passait dans ces eaux.

Il y eut soudain un brouhaha dans la coursive, il entendit Allday s’emporter :

— Cela ne sert à rien ! Vous n’avez pas le droit de passer par ici ! – puis sa voix prit un accent étrange, gras. Ça n’vous servira rien, senora !

La porte s’ouvrit pourtant violemment sur ses gonds à moitié arrachés et une femme fit irruption dans la chambre. Elle fulminait.

— Ah, te voilà, Luis ! Tout le monde t’attend pour savoir ce qui se passe ! Et tu restes ici à tailler une bavette, comme une poissonnière !

Bolitho était tout interloqué. Elle était grande, avec des cheveux longs aussi sombres que les siens, et portait ce qui avait dû être une toilette de grand prix. Mais sa robe était constellée de taches de sel et d’autres traces plus foncées à la taille, sans doute du sang.

Pareja, qui avait l’air tout penaud, annonça :

— Mon épouse, capitaine. Elle est anglaise comme vous.

Bolitho avança un siège à la dame :

— Asseyez-vous, senora, je vous prie.

Elle avait une tête de plus que son mari ou presque et portait vingt ans de moins, à première vue. Elle était plus séduisante que belle ; on remarquait surtout ses yeux très noirs et une bouche qui n’était pour l’heure qu’une mince ligne marquant la détermination et la colère.

— Inutile, je ne resterai pas – elle se tourna vers lui pour la première fois. Tout le monde parle de l’importance nouvelle que mon mari a prise auprès de vous. Je suis simplement venue m’assurer qu’il ne se comportait pas comme un imbécile.

— Mais non, ma colombe ! s’exclama Pareja en reculant lorsqu’elle lui fit face.

— Ne m’appelle pas ma colombe ! Tu m’avais promis de m’emmener loin de cette guerre et même, de la peur de la guerre ! Et dès que nous sommes en mer, tu as vu ? — elle fit un geste menaçant en direction de Bolitho. Ce monsieur s’empare de notre bâtiment et manque de nous tuer au passage !

— Vous feriez bien de tenir votre langue, madame, aboya Meheux, le capitaine de vaisseau Bolitho est officier du roi et je vous conseille de vous en souvenir !

— Ah bon, capitaine de vaisseau ? – elle se mit à sourire d’un air moqueur. Nous en sommes vraiment très honorés.

Allday s’avança comme pour l’attraper, mais Bolitho lui fit signe de s’arrêter.

— Je suis désolé que vous ayez subi tous ces désagréments, senora Pareja. Je m’assurerai que vous pourrez rentrer à Mâlaga dès que possible.

Elle avait les mains sur les hanches, son corps souple tremblait de colère.

— Vous savez bien que c’est presque impossible, capitaine. Il est plus vraisemblable que nous serons passés d’un navire à l’autre, que nous devrons souffrir mille indignités entre les mains de vos marins, jusqu’à ce qu’on nous abandonne dans quelque port. J’ai déjà entendu parler de choses semblables, croyez-moi !

Elle avait la voix forte, aussi vigoureuse que ses membres, et donnait le sentiment d’une personne parfaitement capable de régler elle-même ses affaires. Pourtant, plantée là dans cette chambre démolie, avec sa robe qui portait les traces de la tempête et des soins qu’elle avait apportés aux blessés, sa voix donnait à Bolitho une impression mal définie. Du désespoir plus que de la colère, dépit et non horreur, comme il avait pu le croire au début.

— Je veillerai à ce que l’on vous attribue une chambre d’officier, à vous-même et à votre mari. Je crois comprendre que la vôtre a été détruite ?

— Oui, avec toutes mes malles ! – elle jeta un regard furibond à son mari. Mais les siennes sont intactes, bien entendu !

— Mais, ma colombe… – Pareja se jeta presque à ses pieds – … tu sais bien que je vais prendre soin de toi !

Bolitho détourna les yeux, gêné et vaguement mal à son aise. Il dit à Meheux :

— Faites-les conduire à leur nouvelle chambre. Il faut que je trouve le moyen…

Mais il s’arrêta net en entendant un coup de feu.

Tirant son sabre du fourreau, il poussa Pareja sur le côté pour se ruer dehors, Meheux et Allday sur les talons.

Le soleil, aveuglant, l’empêcha de rien discerner de particulier durant de longues secondes. Plusieurs passagers se tenaient toujours près du grand panneau où on leur avait dit d’attendre la distribution du repas. D’autres étaient immobilisés dans des attitudes de saisissement ou de terreur, les yeux rivés sur le gaillard d’avant, où deux hommes se tenaient derrière un pierrier qu’ils pointaient sur la dunette. Accessoirement, l’un des hommes de Meheux gémissait doucement, du sang s’échappait de la blessure qu’une balle de pistolet lui avait faite à l’épaule.

— C’est cet homme ! cria Pareja d’une voix inquiète. C’est Witrand !

Bolitho restait rigoureusement immobile : une simple traction sur le tire-feu, et une volée de mitraille pouvait balayer le pont d’un bout à l’autre. Ce n’était pas seulement sa propre vie qui était en jeu, mais aussi celle de tous ces gens qui se trouvaient là.

— Eloignez-vous de cette pièce, cria-t-il ! Vous ne pouvez rien faire !

— Ne dites pas de choses aussi stupides, commandant – l’homme avait une voix douce mais étrangement forte en même temps. Quelques-uns de vos hommes ont essuyé, comment dire, un petit contretemps – il souriait. Ils ont eu le malheur de dénicher un fameux brandy en bas. J’ai peur qu’ils ne vous soient pas d’un grand secours.

La bouche de la pièce se déplaça légèrement.

— Jetez vos armes, les matelots espagnols vont reprendre leurs postes. Je suis sûr qu’ils sont capables de manœuvrer convenablement ce navire, si nécessaire – il arborait un large sourire qui faisait se détacher des dents éclatantes au milieu de ses traits bronzés. Votre propre bâtiment est loin, cela n’a aucun sens de vous sacrifier vous-même… – il durcit le ton – … ou de sacrifier d’autres existences, pour le plaisir de préserver votre amour-propre !

Bolitho examinait fébrilement la situation. Même si lui et ceux qui l’entouraient sans être ivres tenaient l’arrière, ils seraient incapables de conduire le navire. Le pierrier de Witrand lui donnait la possibilité de garder le contrôle du pont supérieur, ainsi que de l’eau douce et des vivres. Il n’y avait sans doute plus un seul officier espagnol de vivant, mais Witrand avait raison : l’équipage pouvait remettre en route et il risquait d’attendre longtemps l’arrivée d’un bâtiment ennemi qui viendrait vérifier ce qui se passait.

— Si nous parvenons à retourner dans la chambre, murmura Allday, nous pourrons les menacer avec des mousquets, monsieur.

— J’attends, capitaine ! reprit la voix. Jetez immédiatement vos armes !

— Vous le croyez capable de tirer ? demanda Meheux. Il pourrait tuer la moitié des femmes et des enfants qui se trouvent ici.

Bolitho commença de déboucler son ceinturon.

— Morts, nous ne servirons à rien. Faites ce qu’il dit.

Les passagers poussèrent un gros soupir de soulagement en voyant Bolitho et ses compagnons déposer leurs armes sur le pont.

Deux Espagnols en armes arrivèrent en courant par le passavant tribord, pistolets pointés et grimpèrent l’échelle de dunette derrière Bolitho à une distance telle qu’ils ne pouvaient pas le manquer.

Witrand passa le tire-feu à son compagnon, s’avança lentement sur le passavant et s’inclina en arrivant sur la dunette.

— Paul Witrand, capitaine. A votre service.

C’était un homme de taille moyenne, la mâchoire carrée, l’allure d’un soldat. On sentait de la détermination chez lui, et Bolitho aurait pu s’en rendre compte plus tôt sans l’irruption de la femme de Pareja. Peut-être l’avait-elle fait de manière délibérée.

— Je me suis rendu pour préserver des vies, répondit-il calmement. Mais nous retomberons fatalement sur mon bâtiment. Même si vous me gardez en otage, cela ne vous servira à rien.

— Un seul bâtiment, capitaine ? Intéressant. Et quelle peut bien être sa mission dans des eaux contrôlées par la France ? je me le demande – il hocha la tête. Vous vous êtes conduit courageusement, et j’ai du respect pour vous. Mais il vous faut accepter votre destin, comme je l’ai fait lorsque vous êtes arrivé à bord. Mieux eût valu pour nous deux ne jamais nous rencontrer – il haussa les épaules d’un air entendu. La guerre est la guerre.

Il examina Bolitho une poignée de secondes, les yeux presque jaunes dans la lumière.

— Je suis sûr que vous refuseriez de manœuvrer ce bâtiment pour mon compte – aimable sourire. Vous allez cependant me donner votre parole, votre parole d’officier du roi, de ne pas tenter de le reprendre – il se saisit du sabre de Bolitho. Dans ce cas, vous pouvez le garder ; ce sera, comment dire, le garant de ce que je fais confiance à votre parole.

Bolitho hocha négativement la tête :

— Je ne peux pas vous garantir pareille chose.

— Ni moi non plus, ajouta sèchement Meheux.

— Ah, je vois, on fait preuve de loyauté – il reprit un air plus réservé. Vous serez conduits en bas et mis aux fers. J’en suis naturellement navré, mais je n’ai pas le choix. Il y a ici trois autres Français. Les autres… – il haussa les épaules sans dissimuler son dégoût – … de la racaille d’Espagnols, j’aurai du mal à les tenir à distance des passagers.

Il fit signe aux deux marins en armes et demanda à Bolitho :

— Votre navire, dites-moi, ne serait-il pas d’origine française ?

— C’est l’ancienne Tornade.

Bolitho essayait de répondre d’une voix égale, mais il cherchait fébrilement dans sa tête une idée, quelque chose, un moyen de reprendre le dessus. Mais, non, rien ne lui venait.

Witrand écarquilla les yeux.

— La Tornade ? Le vaisseau de l’amiral Lequiller ? – il se frappa le front du plat de la main. Mais ce que j’ai été bête ! Mais oui, vous avec votre nom impossible, l’homme qui a pris la Tornade au bout de soixante-dix heures de combat !

Il hocha la tête et recouvra son sérieux.

— Mais vous feriez vous-même un prisonnier de grande valeur, si jamais nous revoyions la France.

Les marins leur mirent leurs pistolets dans les côtes, et Witrand se contenta d’ordonner :

— Emmenez-les !

Il s’attarda sur Allday, qui le regardait fixement, serrant et desserrant les poings, visiblement encore sous le coup de ce qui venait d’arriver.

— Est-ce l’un de vos officiers ?

Bolitho se tourna vers lui ; c’était là un de ces moments où l’on avait l’impression que la vie s’arrêtait. Si on les séparait, il pouvait ne plus jamais revoir Allday.

— C’est un ami, m’sieur, répondit-il doucement.

— Et c’est une denrée rare, soupira Witrand – il sourit. Qu’il reste avec vous, mais à la moindre entourloupette, je vous ferai abattre.

Et jetant à Pareja un coup d’œil assassin :

— C’est comme pour les traîtres : il n’y a pas d’autre solution.

En se tournant vers l’échelle de dunette, Bolitho vit les visages des passagers les plus proches, ainsi que la femme de Pareja tout à l’arrière. Elle se tenait parfaitement immobile ; seul le rapide battement de sa gorge laissait deviner une certaine émotion. Il entendit un grincement et, lorsqu’il tourna la tête, il vit que le pavillon blanc descendait du grand mât au bout de sa drisse.

Tout comme la remise de son sabre, voilà qui soulignait assez bien à quel point sa défaite était complète.

Le dos appuyé contre un énorme baril de bœuf salé, Bolitho écoutait les bruits étouffés qui lui parvenaient à travers la porte. Ses compagnons restaient silencieux. Eclairé par un trou minuscule percé dans l’huis et qui laissait passer la faible lueur d’un fanal, l’endroit était obscur, et il aimait mieux qu’il en fût ainsi. Il n’avait vraiment pas envie que les autres pussent voir son visage ni son désespoir.

Il entendit un bruit de chaîne, sentit les fers qui entouraient ses chevilles bouger un peu : sans cloute Meheux ou l’un des autres qui changeait de position. Allday était assis juste à côté de lui et s’appuyait au même baril. Grindle était à l’autre bout de cette soute exiguë, enchaîné avec Ashton. Tous restaient perdus dans leurs pensées, à ruminer cette malice du destin à laquelle ils devaient d’être là.

Il était impossible de deviner ce qui se passait à bord. Les pompes ne s’étaient pas arrêtées, mais on entendait par intermittence d’autres bruits, des cris, des jurons, une femme qui sanglotait ou poussait des hurlements. Il y avait même eu un coup de feu, et Bolitho se dit que Witrand avait peut-être quelque difficulté à tenir en main son équipage espagnol. Lorsque l’on avait subi le feu dévastateur d’un Euryale, la tempête, l’humiliation de s’être fait prendre, l’atmosphère n’était plus la même dans l’entrepont. Privés de leurs officiers, sans objectif précis, les hommes avaient dû abandonner tout sens de la discipline et sombrer dans un chaos d’ivrognes.

Le vent ne s’était toujours pas rétabli, il s’en rendait compte aux mouvements ralentis du bâtiment, aux claquements des apparaux qui pendaient sans vie.

— Si je vis jamais assez longtemps pour mettre la main sur ces poivrots, fit rageusement Meheux, je vous promets que je les ferai fouetter à les mettre en lambeaux, cette bande d’incapables !

— Il faut dire que cette idée de brandy était une ruse assez fine de la part de Witrand, lui répondit Bolitho – et il ajouta, envahi par une soudaine amertume : J’aurais dû fouiller plus à fond.

— Mais non, fit Grindle de sa voix traînante, z’étiez trop occupé à leur sauver la vie pendant c’temps-là, m’sieur, z’avez pas de raison de vous en vouloir.

— Je suis parfaitement d’accord, renchérit Allday, qui s’agitait sans cesse ; on aurait bien dû les laisser dans leur pourriture !

— Vous sentez-vous mieux, monsieur Ashton ? demanda Bolitho.

Il se faisait du souci pour l’aspirant. Lorsqu’on l’avait jeté dans la soute, Bolitho avait aperçu le pansement ensanglanté qu’il portait autour de la tête et trouvé sa pâleur impressionnante. Apparemment, Ashton avait tenté de résister à leurs assaillants, appelé ses hommes à la rescousse, mais ils étaient déjà trop soûls pour seulement s’aider eux-mêmes. Quelqu’un lui avait porté un violent coup de mousquet et il n’avait plus dit grand-chose depuis.

— Je vais bien, monsieur, répondit-il d’une voix pleine d’allant, cela va passer.

— Vous vous êtes fort bien conduit.

Bolitho se dit qu’Ashton pensait sans doute un peu trop à son avenir. Il n’avait que dix-sept ans, mais avait déjà montré de grandes capacités. A présent, tous ses beaux projets risquaient de tomber à l’eau. Ce qui l’attendait, c’était la prison, peut-être même la fièvre puis la mort dans quelque garnison perdue chez l’ennemi. Il était trop jeune, de trop peu d’importance pour espérer être échangé, à supposer déjà que sa personne pût seulement intéresser les autorités.

Bolitho essayait d’imaginer son propre bâtiment, sa position, ce que Broughton pouvait bien être en train de faire. L’amiral les avait sans doute tous chassés de ses pensées. La tempête, la forte probabilité que le Navarra fût allé par le fond, tout cela ne devait laisser subsister chez lui qu’une vague pensée pour leurs mémoires, rien de plus.

Il s’étira un peu contre son baril, ces fers étaient décidément insupportables. Ce n’était pas la première fois qu’on le faisait prisonnier, mais c’était une bien maigre consolation. Dans le temps, il avait toujours eu une chance, même infime, d’échapper à ses ravisseurs et de renverser le jeu. La possibilité de voir arriver un bâtiment anglais existait toujours et, où il y a une chance, il y a de l’espoir. Mais à présent les choses étaient totalement différentes. L’Euryale ne reviendrait pas les chercher. Comment aurait-il pu le faire, alors qu’il n’avait même pas esquissé un début d’exécution de sa mission ?

Il sentit son estomac se nouer et prit soudain conscience qu’il n’avait rien avalé depuis la veille. Le souvenir de son bâtiment bien en ordre, la sensation d’exister, d’appartenir à quelque chose, cela lui paraissait remonter à une bonne semaine.

Il songea à la femme de Pareja, qui était sans doute en train d’expliquer à Witrand comme elle n’avait eu aucun mal à lui mettre des bâtons dans les roues quand il voulait fouiller parmi les passagers pour le retrouver. Ou peut-être était-elle en train de pleurer, en regardant son vieux mari finir de gargouiller en gigotant au bout d’une corde à la grand-vergue. D’où sortait-elle donc ? Qu’est-ce qui pouvait bien amener à l’autre bout du monde une femme comme elle ? Cela ne faisait jamais qu’une énigme de plus…

Ils entendirent des pas derrière la porte et Allday déclara d’une voix hargneuse :

— Ils viennent savourer le spectacle, ces salopards !

Quelqu’un tira le verrou : Bolitho vit Witrand scruter l’obscurité de la soute, deux hommes en armes sur les talons.

— J’aimerais que vous montiez sur le pont, capitaine, fit le Français.

Il avait l’air très calme, mais un je-ne-sais-quoi réveilla l’intérêt de Bolitho. Peut-être que le vent revenait et que Witrand ne jouissait pas auprès de l’équipage de la confiance dont il se targuait. Pourtant, le pont était apparemment toujours aussi calme, on entendait seulement le claquement des pompes.

— Et pourquoi devrais-je venir ? rétorqua-t-il. Je me trouve très bien ici.

Witrand appela l’un de ses hommes qui s’approcha avec une clé.

— Les prisonniers n’ont pas le choix ! aboya-t-il. Vous ferez ce que je vous ordonne de faire !

Bolitho regarda l’homme lui enlever ses fers en se demandant ce qui pouvait bien justifier ce changement d’attitude de Witrand. Pas de doute, l’homme avait des soucis.

Meheux l’aida à se mettre debout et lui dit :

— Méfiez-vous, monsieur.

Il avait l’air un rien remonté, comme le remarqua Bolitho : il s’imaginait sans doute qu’on allait soumettre son capitaine à un interrogatoire ou pis encore.

Il suivit Witrand dans la coursive, où le silence régnait de manière saisissante. En dehors des pompes, des craquements du bois, pas un seul bruit de voix. Et cela à bord d’un navire bourré à craquer de passagers apeurés.

C’était la fin de l’après-midi, le soleil était encore aveuglant sur le pont et les souliers de Bolitho collaient au plancher. Il suivit Witrand dans l’échelle puis à l’arrière. La mer bleue était si éblouissante qu’il manqua de trébucher sur une planche éclatée et que Witrand dut lui tendre la main pour le soutenir.

— Eh bien, qu’y a-t-il ? demanda Bolitho en s’abritant les yeux. Je n’ai pas changé d’avis, sur rien.

Witrand semblait ne pas entendre. Il prit Bolitho par le bras et le força à s’approcher de la lisse.

— Regardez donc en bas, fit-il d’une voix pressante, vous y comprenez quelque chose ?

Bolitho s’aperçut soudain que le pont principal et le gaillard étaient couverts de silhouettes qui l’observaient en silence. Des hommes étaient même montés dans les enfléchures et leurs visages graves se détachaient sur les voiles pendantes. Ils regardaient quelque chose, à l’horizon.

Witrand lui tendit une lunette :

— S’il vous plaît, capitaine, dites-moi ce que vous en pensez.

Bolitho posa l’instrument sur son avant-bras et le pointa par-dessus la lisse. La plupart des hommes présents sur le pont s’étaient tournés vers lui ; Witrand lui-même le fixait attentivement, non sans anxiété.

Bolitho déplaça lentement la limette et retint son souffle en apercevant de petites voiles latines qui dansaient dans les lentilles. Trois, quatre, cinq peut-être, qui se réfléchissaient sur l’eau de façon plaisante, comme les ailes colorées de papillons.

Il baissa sa lunette et se tourna vers Witrand.

— Ce sont des chébecs – Witrand attendait avidement la suite. Il y en a peut-être cinq.

Witrand le regarda en lui montrant les voiles inanimées du Navarra :

— Mais pourtant ils avancent, et ils approchent même vite ! Comment font-ils donc ?

— Comme les galères, m’sieur, ils avancent à la rame aussi bien qu’à la voile – et il ajouta très posément : A mon avis, il s’agit de pirates barbaresques.

Witrand recula d’un pas :

— Mon Dieu, des corsaires !

Il arracha la lunette des mains de Bolitho et observa les petites voiles pendant plusieurs secondes avant d’ajouter, plus calmement :

— Voilà qui est fâcheux ; que savez-vous de ce genre d’hommes ?

Bolitho détourna les yeux.

— Ce sont des sauvages, des combattants barbares. Quand ils parviennent à monter à bord, ils ne laissent pas un seul survivant, puis s’emparent de la cargaison… – une pause – … et des femmes.

Witrand en avait le souffle coupé.

— Mais nos canons sont en état, non ? Mon Dieu, ils ont assez bien répondu aux vôtres. Nous pourrons sûrement réduire en purée des bâtiments aussi minuscules avant qu’ils aient pu approcher…

Bolitho se tourna vers lui, l’air grave.

— Vous ne comprenez rien. Les chébecs sont des bâtiments très manœuvrants, alors que nous sommes encalminés. C’est la raison pour laquelle ils se sont maintenus jusqu’à nos jours, et avec beaucoup de succès. Dès qu’ils sont à portée, ils font force de rames pour arriver jusque sous votre étrave et ils vous matraquent jusqu’à ce que vous vous rendiez à raison. Chacun d’entre eux porte une grosse pièce de chasse entre les bossoirs, c’est leur manière.

Il le laissa méditer ce qu’il venait de dire avant de poursuivre :

— La méthode s’est révélée très efficace : j’ai entendu parler de navires de guerre encalminés, incapables de rien faire sinon de regarder ces galères massacrer des bâtiments marchands l’un après l’autre au beau milieu d’un convoi.

Il se tourna une fois encore vers l’horizon. Les voiles s’étaient encore rapprochées, il apercevait les longues lignes de rames qui se levaient et retombaient dans un rythme parfait. Au-dessus des rames, les voiles latines étincelaient comme une menace supplémentaire. Il imaginait fort bien l’excitation des équipages à la vue d’une proie aussi facile.

— Que faire ? demanda Witrand en tendant les mains. Ils vous tueront vous aussi, capitaine, il nous faut donc travailler ensemble.

Bolitho haussa les épaules.

— En principe, je ferais mettre les canots à la mer et j’essaierais de nous remorquer. Au moins, nous pourrions lui offrir notre bordée. Mais nous n’avons pas de canots, en dehors du doris qui m’a conduit à bord – il se frotta le menton. De toute manière, il en faudrait beaucoup.

— Au nom de Dieu, monsieur ! Vous allez rester planté là à ne rien faire ?

Il lui indiqua les gens qui regardaient en silence, qui commençaient à comprendre la menace au fur et à mesure que les petits bâtiments se rapprochaient.

— Et eus, alors ? Vous allez les laisser périr ? Souffrir la torture ou le viol ? Je suis certain que vous pouvez faire quelque chose.

Bolitho sourit tristement.

— Le souci que vous avez de leur survie est touchant. Vous avez beaucoup changé depuis que nous nous connaissons – et avant que le Français prît le temps de répondre, il ajouta sur un ton tranchant : Faites relâcher immédiatement mes officiers et rendez-leur leurs armes.

Il vit dans ses yeux que Witrand était atteint, mais ajouta :

— Vous n’avez pas le choix, m’sieur. Et si nous devons mourir en ce jour, je préférerais que ce soit le sabre à la main.

Witrand fit signe qu’il obtempérait et lui adressa un bref sourire :

— Faisons ainsi, j’en suis d’accord.

Il appela un homme pour porter un message et ajouta :

— Le vent va-t-il se lever ?

— Peut-être dans la soirée, lorsqu’il fera plus frais – il le regarda froidement. Mais cela ne nous avancera guère si nous échouons.

Quelques minutes plus tard, Meheux et les autres venaient le rejoindre à l’arrière. Ashton avançait avec peine en s’appuyant au bras du lieutenant.

Bolitho aperçut sur le pont supérieur l’officier marinier qu’ils avaient relâché, McEwen, ainsi que six hommes que l’on avait également autorisés à gagner l’arrière. Les autres étaient probablement encore trop soûls pour qu’on parvînt à les remuer. Ils mourront sans s’être rendu compte de rien, songea-t-il amèrement, cela vaut mieux.

— Avez-vous besoin de moi, capitaine ?

C’était Pareja, l’air terrifié et timide à la fois.

Bolitho lui fit un sourire. Pareja était resté sous bonne garde, ce qui montrait qu’il ne s’était pas entendu à sa façon avec le Français.

— Je souhaite que vous disiez à tout le monde ce dont j’ai besoin – il le vit jeter un coup d’œil craintif par-dessus la lisse. Beaucoup de choses vont dépendre de vous, senor, de votre façon de parler, de vous comporter – nouveau sourire. Descendons sur la dunette, voulez-vous ?

Pareja le regardait en cillant :

— Tous les deux, capitaine ?

Il finit par hocher la tête. Sa détermination toute neuve était touchante.

— Comment pourrions-nous réussir à les repousser ? demanda Meheux.

— Rassemblez vos hommes, faites-en une seule équipe de pièce. Je veux que vous fassiez porter notre meilleure pièce dans la chambre de poupe. Vous allez devoir faire vite pour frapper les palans qui vont bien, mais nous n’avons pas le choix. Ces gens-là vont être à portée d’ici à une heure, peut-être avant.

Il posa la main sur le manteau tout froissé du lieutenant et ajouta :

— Et envoyez les couleurs, monsieur Meheux !

Il vit Witrand qui ouvrait la bouche pour protester, mais se détourna vers la lisse.

— Si je dois me battre, ce sera sous notre pavillon !

Allday regardait les couleurs monter à la drisse et fit remarquer, tout réjoui :

— Je parierais gros que ces satanés pirates n’ont encore jamais vu un vaisseau du roi de cette beauté !

Bolitho se tourna vers Pareja :

— Et maintenant, senor, venez avec moi. Nous allons essayer d’écrire ensemble une nouvelle page de l’histoire maritime, hein ?

Pourtant, en voyant tous ces visages en dessous d’eux, les femmes qui serraient leurs enfants contre leurs jupes, ces gens sans défense, de plus en plus effrayés, c’était le plus qu’il pouvait dire pour essayer de leur cacher ses véritables sentiments.

 

Capitaine de pavillon
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